L’énergie pure de la LegalTech
Il y a des personnes dont la présence s’impose sans faire de bruit. Léa Fleury fait partie de celles-là : une voix douce, des mots choisis, et une détermination sans éclat inutile. Souvent citée par les invités de la série FAN 2, Léa marque la communauté juridique par son engagement.
À 30 ans, elle incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs qui réinventent le droit, avec exigence et sincérité. Co-fondatrice d’Ordalie (avec un co-fondateur discret mais tout aussi méritant), cette juriste de formation devenue entrepreneuse tech navigue entre les plateaux télé et les directions juridiques des grandes entreprises françaises, sans jamais perdre sa simplicité.
Son parcours ? Un savant mélange entre rigueur juridique et audace entrepreneuriale, ponctué d’un passage chez Chanel, Hermès et Cartier avant de plonger dans l’aventure de l’IA juridique.
L’entrée en matière
Léa, quelle est ton année préférée ?
2023. C’est l’année où on a lancé Ordalie. C’est symbolique. C’est surtout l’année où j’ai pris un risque, celui de quitter la situation confortable dans laquelle je me trouvais pour enfin me lancer dans le grand bain de l’entrepreneuriat (un domaine qui me fascine depuis des années).
Comment décrirais-tu ton style au boulot ?
Je suis assez exigeante, passionnée. Et quand même assez humaine dans mon style de management.
Si tu devais créer un emoji pour représenter ton état d’esprit au travail, ce serait quoi ?
Celui-ci : 🤔 Je remets constamment en question ce que je fais pour essayer de me dépasser à chaque fois. Je ne fais pas les choses parfaitement mais j’essaye de m’appliquer sur chaque tâche.
Et dans la vie ? L’emoji qui bave 🤤. Je l’utilise tout le temps. Bien manger, bien boire. C’est la vie.
Le titre de ton film, ou le film qui te représente le plus?
Si je peux inclure les animés, je dirais Attack on Titans : se battre contre des géants, installés sur le marché depuis longtemps et beaucoup plus puissants que nous, jeune legaltech peut-être plus petite mais agile !
Les petits bonheurs
Ton meilleur moment au boulot ?
Il y en a plein. D’abord, mon chat, que j’emmène souvent au bureau. Il m’accompagne dans toutes les aventures d’Ordalie.
Et puis ce que j’aime, c’est tout le reste : construire, créer, voir le projet avancer. Je travaille sur un produit que j’adore, qui va vraiment avoir de l’impact.
Et quand les utilisateurs nous envoient des feedbacks positifs, je savoure. C’est ce genre de moments qui me rechargent complètement.

Ce que tu aimes faire après une bonne journée de travail ?
Lire et chanter.
Tu chantes quoi?
Majoritairement de la pop, Billie Eilish par exemple.
La musique qui te fait du bien ?
Je suis fan de hard-rock, de metal 🤘(mais pas du bruit comme on pourrait s’imaginer) et de Jazz aussi.
Si tu pouvais revivre une journée de ta vie, laquelle choisirais-tu ?
Ma première journée à Station F. J’ai quitté mon CDI et j’ai plongé dans l’inconnu.
Je l’ai fait pour Ordalie, j’étais certaine du projet, c’était presque viscéral. J’ai réussi à avoir le courage de me lancer, alors que j’avais une très bonne situation. Ma première journée là-bas était comme un nouveau chapitre de ma vie.
La genèse du projet?
En fait, moi je suis juriste de formation. J’avais travaillé chez Baker McKenzie en M&A, et c’est là que j’ai vu beaucoup de cas d’usage qui, aujourd’hui, s’appliquent très bien à l’IA. Je connaissais déjà mon co-fondateur, un fou du code, comme je l’appelle parfois. Très vite, il avait des idées précises sur comment l’IA générative pouvait s’appliquer dans le domaine juridique.
En discutant, on a réalisé qu’il y avait beaucoup de cas d’usage qui pouvaient résoudre des problèmes que j’avais rencontrés en cabinet. On a donc commencé par créer un chatbot juridique très simple. L’objectif : démontrer que l’on pouvait avoir des modèles d’IA capables de citer la base légale à chaque fois, pour que les utilisateurs puissent vérifier les sources — ce que ChatGPT ne permettait pas à l’époque.
On a publié ça un dimanche soir sur Twitter, un peu au hasard. À ce moment-là, je n’avais même pas 30 abonnés. Et pourtant, le tweet a été vu plus de 300 000 fois. Un mini-buzz inattendu.
C’est à partir de là qu’on a commencé à avoir une couverture médiatique, mais surtout beaucoup de feedback sur le produit. Et très vite, on a commencé à aller voir des cabinets d’avocats pour développer le produit avec eux.
De fil en aiguille, le projet a pris de l’ampleur plus rapidement qu’on ne l’aurait imaginé. Mais au fond, tout est parti de cette discussion entre nous, de cette rencontre entre mon expérience juridique et sa passion pour la tech et l’IA.
Ha!? et le cofondateur … ?
Baudouin est un autodidacte complet : il code depuis qu’il a un ordinateur entre les mains. C’est lui qui a développé la tech sous-jacente de A à Z — le back, le front, les modèles d’IA… vraiment tout. Il a été seul sur cette partie tech très longtemps sur le projet, et maintenant il est accompagné d’une équipe. Comme moi, il a ce côté passionné, intense. Il vit le projet à fond, il est très exigeant et très investi. On se complète bien, et je crois que c’est cette énergie partagée qui a permis à Ordalie de prendre forme.
Les convictions
Quelle est l’idée préconçue sur ton métier que tu aimerais déconstruire ?
Je combats beaucoup cette idée qu’un chef d’entreprise doit avoir beaucoup de monde pour avancer vite.
C’est faux. Cela rassure, mais je ne suis pas sûre de l’efficacité. La coordination est plus difficile quand on est plus nombreux, surtout avec la tech et les outils d’IA.
Quel compliment t’a le plus marqué ?
Ah… j’en ai un qui me vient en tête, mais ce n’était pas vraiment un compliment à la base. C’était un ancien manager qui m’a dit que je travaillais “un peu à la japonaise”. Pour lui, ce n’était pas forcément positif, mais moi je l’ai pris comme un compliment : ça voulait dire que je suis très rigoureuse, presque puriste, surtout avec la donnée. Ce n’est pas toujours bien vu, mais ça montre, je crois, un vrai souci du détail.
Après… sinon, un vrai compliment ? Je ne sais pas trop… je n’aime pas trop en parler, ça fait un peu frimer, non ?
Qu’est-ce que tu as à apporter au monde juridique ?
On fait face à une volumétrie et une complexité de la donnée qui est croissante et pas efficace. On passe un temps fou à trier de la donnée.
C’est dommage qu’après des études exigeantes, on soit relégué à ça. On a beaucoup de temps à gagner sur l’efficience.
On veut réarmer la Direction Juridique et augmenter son impact. Elle est souvent le parent pauvre dans une entreprise. Nous, on veut lui permettre d’être le chef d’orchestre de l’info au sein de toute l’entreprise.
Quelles valeurs sont non négociables pour toi au travail ?
Le souci du détail. Avec mon associé, on est hyper consciencieux. On veut se surpasser et faire de notre mieux à chaque fois.
L’intégrité aussi. On est plutôt comme des consultants. Je ne cherche pas à pousser systématiquement notre solution sans écouter le besoin réel du client.
La cause que tu choisirais de soutenir si tu gagnes au loto ?
Je peux en choisir deux? La cause animale et tout ce qui tourne autour du harcèlement scolaire. C’est une cause qui me touche personnellement à titre familial, parce qu’elle laisse des traces sur toute une vie et plusieurs vies.
Les habitudes positives… ou pas
Quand tu reçois un mauvais feedback, comment réagis-tu ?
Je vais y penser toute la journée pour trouver une solution.
La chose dont tu ne peux pas te passer ?
De mon téléphone. C’est une habitude très négative. Je suis accro aux notifications et aux mails. Je bosse depuis mon téléphone. En fait… pendant cette interview, je crois que je l’ai regardé au moins dix fois ! Ça peut énerver, mais bon… c’est moi.
Ton plaisir caché ?
Ah… les animés ! Je suis vraiment fan. Je regarde un peu de tout : Attack on Titan, et puis les classiques de Miyazaki, comme Le Tombeau des lucioles. C’est un vrai moment pour moi.
Le fun fact
C’est quoi ton parcours avant Ordalie ?
J’ai fait quatre ans de droit à Bordeaux puis l’ESSEC.
J’ai passé le barreau. Je l’ai réussi à l’écrit et je l’ai raté à l’oral. Finalement, je n’avais pas envie d’être avocate.
J’ai terminé mes études de commerce en marketing opérationnel chez Chanel. J’ai enchaîné chez Hermès et Cartier en tant que data analyste.
Ta pire boulette au travail ?
Lors d’une de mes premières expériences dans une Maison de luxe, je travaillais sur la coordination d’événements qui impliquaient l’envoi de pièces de haute joaillerie. J’ai mal compris le process et j’ai envoyé des pièces à l’étranger sans les déclarer. On s’est retrouvés avec des pièces non déclarées et cela a coûté des milliers d’euros à la boîte.
Cette boulette a mis au jour tous les dysfonctionnements internes. Malgré moi, ils ont tous été mis face à leurs responsabilités.
Une coïncidence dans ton parcours ?
Le premier cabinet où j’étais stagiaire m’a conseillé cette année pour la levée de fond. La boucle est bouclée.
La contribution à la communauté juridique
La Direction Juridique du futur ressemble à quoi ?
Pour moi, c’est le chef d’orchestre des autres branches. La Direction Juridique, qui était initialement très souvent en flux-tendu, va pouvoir petit à petit construire des processus de travail durables dans la mesure où elle pourra automatiser ce qui n’est pas ou peu important, voire même le déléguer à des branches opérationnelles (je pense par exemple à la gestion des NDA qui pourrait directement être effectuée par les branches opérationnelles). La DJ serait moins engorgée par ce genre de demandes récurrentes et aurait parallèlement plus d’impact et de pouvoir sur des sujets autrement plus importants et où le risque n’est pas négligeable.
Comment aides-tu concrètement les professionnels ?
L’objectif est de répondre à un besoin d’efficience dans le traitement de la donnée juridique. Avec mon associé, on souhaite pouvoir user des bénéfices nouveaux permis par l’IA pour créer la meilleure technologie possible appliquée au domaine juridique et permettre aux juristes et avocats d’éviter de perdre du temps sur des tâches qui ne valorisent pas leur expertise (même si elles sont indispensables à l’avancée des dossiers !).
Quel conseil donnerais-tu à ton “toi” plus jeune si tu pouvais remonter le temps ?
Franchement, oser et faire le tri dans les conseils qu’on peut recevoir. Certains conseils ont réellement eu de l’impact et d’autres sont contradictoires. Il faut plus s’écouter et avoir confiance dans sa propre voie.
Le #gratitude
Ton #gratitude ? C’est pour qui ?
Pour tous nos advisors, et nos premiers clients. Ce sont des cabinets d’avocats. Je les remercie infiniment parce qu’ ils ont vécu tous les bugs, les retards, les trucs qui ne marchent pas. Ils nous suivent depuis qu’on est tout jeunes.
Ce qui te rend fier de toi ?
J’ai réussi à lever 1,8 million dans un secteur pas simple, dans un contexte très difficile. C’était beaucoup de temps et émotionnellement très lourd. J’en suis fière.
Tu viens d’une famille d’entrepreneurs ?
Pas du tout. À la maison, c’était plutôt “trouver un CDI stable” après les études. Rien à voir avec l’entrepreneuriat. Même si ma famille me soutient énormément quelque soit mes choix !
Ton rôle modèle ?
Honnêtement… je n’ai pas un seul rôle modèle. En tant que femme, on en manque un peu, donc je regarde un peu partout. Je fais un patchwork : je pioche chez différentes personnes ce que j’admire, et j’essaie de m’en inspirer.
J’admire des entrepreneuses dans la tech, comme Eléonore Crespo (Pigment), Dario Amodei (Anthropic) ou Jean-Charles Samuelian (Alan) — franchement, ce qu’ils font est impressionnant.
La question que je ne t’ai pas posée et à laquelle tu aurais aimé répondre?
Léa : As-tu connu des échecs marquants ?
J’aurais répondu que oui, le premier étant mon échec au grand oral du barreau de Paris. Celui-ci a été particulièrement marquant. Ça a un goût amer sur le moment mais c’est exactement cette friction qui t’oblige à te demander : est-que c’est vraiment ce que je veux faire de ma carrière ? Et c’est là que tu progresses vraiment.
Le Futur est à l’Audace :
L’énergie de Léa Fleury et le succès d’Ordalie nous rappellent que l’avenir du droit réside dans l’intégration de l’Intelligence Artificielle et la capacité des professionnels du droit à oser se transformer. L’échec au Barreau ou la « boulette » en Maison de luxe, vus par Léa, deviennent des catalyseurs essentiels pour la progression et l’efficience de la Direction Juridique moderne. L’enjeu n’est plus de trier la donnée, mais de devenir le chef d’orchestre de l’info au sein de l’entreprise.
Pour continuer cette réflexion sur l’innovation juridique et la carrière des avocats et juristes :
- Plongez dans la Tech : Pour comprendre concrètement comment l’IA générative comme celle développée par Ordalie révolutionne le métier, explorez notre catégorie LegalTech & digital et découvrez les solutions qui réarment votre Direction Juridique.
- Inspirez-vous du Leadership : Le parcours de Léa fait écho aux défis de la nouvelle génération. Retrouvez d’autres interviews inspirantes de leaders et d’entrepreneurs audacieux dans notre série FAN 2 & Inspiration.
- Maîtrisez le Management : Pour intégrer l’efficience au cœur de votre pratique (comme le prône la co-fondatrice d’Ordalie), consultez nos guides sur la Boîte à outils et la Stratégie, Management & Organisation. Le secteur juridique a besoin de cette exigence et de cette sincérité. Quelle sera votre prochaine étape pour faire de votre équipe le chef d’orchestre de demain ?

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