Du contrat défensif au contrat utile: comment le legal design redonne sens à l’accord juridique

par | Nov 4, 2025 | Legal Design & Communication | 0 commentaires

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Un article rédigé par Karine LEBRETON, avocate contrats et associations.

Longtemps conçu comme un outil de protection, le contrat peut devenir un instrument de coopération — à condition de repenser sa conception grâce au legal design et à la proactive law.

Le contrat défensif : un outil qui a perdu son sens

Le contrat a longtemps été conçu comme une barrière. Un texte pensé pour se prémunir du risque, prouver la faute, délimiter la responsabilité. Cette approche a façonné des documents denses, techniques, souvent rédigés à distance de ceux qui les utilisent.

Dans la pratique, ces contrats ne remplissent plus vraiment leur rôle. Ils rassurent sur le plan juridique, mais n’aident pas à faire fonctionner la relation. Les parties signent, rangent le document, puis avancent sans lui.

Ce modèle atteint aujourd’hui ses limites. Les entreprises et associations attendent désormais autre chose : un cadre clair et compréhensible, qui les aide à se coordonner plutôt qu’à se méfier.

Autrement dit, il ne s’agit plus de rédiger pour se protéger, mais de rédiger pour coopérer. Et c’est précisément ce que le legal design rend possible.

La proactive law : du droit qui prépare plutôt que du droit qui répare

La proactive law s’inspire du droit préventif, apparu dès les années 1950 aux États-Unis sous l’impulsion de Louis M. Brown. Elle a ensuite été développée dans les pays nordiques au début des années 2000. Elle part d’un constat simple : le droit intervient trop tard. Il s’applique une fois que le problème est survenu, souvent dans une logique de sanction.

Les chercheurs à l’origine de cette approche – notamment Helena Haapio, professeure à l’Université de Laponie – ont proposé une autre manière d’envisager le droit : en faire un outil de prévention et de pilotage. Selon eux, le contrat ne devrait pas être rédigé pour les juristes, mais pour ceux qui vont réellement s’en servir : les partenaires, les dirigeants, les équipes qui font vivre la relation.

L’idée est de concevoir le contrat comme un mode d’emploi de la relation, pas comme un document qu’on range une fois signé. Un texte clair, utile et compréhensible, qui aide à organiser la coopération et à anticiper les zones de malentendu avant qu’elles ne deviennent des conflits.

C’est précisément ce que permet le legal design. Il prolonge cette philosophie en donnant au droit une méthode centrée sur l’utilisateur : observer, comprendre, coconstruire, tester. Autrement dit, il redonne au contrat sa véritable fonction : être utilisé, pas seulement signé.

Le legal design : la méthode pour opérer la bascule

Le legal design transpose au droit la démarche du design thinking. Cette méthode, largement utilisée dans le monde de l’innovation, repose sur cinq phases : empathie, définition, idéation, prototypage et test.

Appliqué au contrat, chacune de ces étapes prend un sens concret :

  • Empathie : comprendre les besoins et contraintes des parties avant toute rédaction. Cela passe par des entretiens, des échanges ou, le cas échéant, une médiation préventive.
  • Définition : cadrer le problème à résoudre : quelles attentes doivent être clarifiées, quelles situations doivent être anticipées, quels objectifs communs guideront la relation.
  • Idéation : imaginer différentes manières de formaliser l’accord : structure du document, formulation, choix des clauses clés ou modes de visualisation.
  • Prototypage : concevoir une première version du contrat, tester la lisibilité, la structure et la cohérence juridique.
  • Test : faire relire ou expérimenter le contrat par les utilisateurs finaux pour vérifier qu’il est compris et exploitable.

Le legal design dépasse la simple mise en forme : il modifie la fonction du contrat lui-même. La rédaction devient un travail collectif où le juriste agit comme facilitateur du dialogue, garantissant la cohérence entre les besoins opérationnels et la structure juridique.

Les leviers concrets de la mutation

Maintenant que la méthode est posée, voyons comment elle prend forme au quotidien. Le legal design repose sur quelques leviers simples et concrets qui changent la manière d’écrire, de présenter et surtout d’utiliser les contrats.

1. Le langage clair

Le premier levier du legal design est le langage clair. La norme AFNOR ISO 24495‑2 publiée en août 2025 consacre cette exigence : les documents juridiques doivent être rédigés de façon à permettre au lecteur de trouver, comprendre et utiliser l’information. L’objectif n’est pas d’appauvrir le droit, mais de le rendre lisible et exploitable par tous. Un contrat clair est un contrat qu’on peut utiliser, pas qu’on subit.

2. La visualisation

La deuxième clé est la visualisation. Structurer, hiérarchiser, cartographier les engagements permet aux parties de comprendre instantanément où elles se situent. Le visuel n’est pas décoratif : il est fonctionnel. Il aide à naviguer dans la complexité et à repérer les points essentiels.

3. La coconstruction

Le troisième levier est la co‑construction. Le legal design intègre la voix de ceux qui vivront le contrat au quotidien. C’est ici que la médiation préventive, cœur de la méthode Orwann*, peut jouer un rôle. Il s’agit d’une démarche d’écoute et de dialogue menée avant toute rédaction pour faire émerger les besoins, attentes et points de vigilance de chaque partie. Intégrée à la démarche du legal design, elle assure que le contrat repose sur une compréhension partagée de la relation et non sur des hypothèses juridiques abstraites.

4. L’évolution du contrat

Enfin, le legal design invite à concevoir des contrats vivants. Un contrat n’est pas figé : il peut évoluer avec la relation. Pensé comme un document de gouvernance, il devient un outil de suivi et d’adaptation continue. 

En combinant ces leviers, le legal design transforme la manière de concevoir les accords. Il ne s’agit plus d’écrire pour se couvrir, mais d’écrire pour agir ensemble.

Vers un contrat utile et relationnel

Le contrat devient le mode d’emploi de la relation. Il fixe les règles du jeu, aide les partenaires à s’orienter et à savoir comment réagir quand la situation se complique.

Au moment de sa rédaction, le contrat permet d’identifier ce qui pourrait poser problème dans la relation et d’y apporter des réponses concrètes dès le départ. Il formalise ces solutions pour qu’elles servent ensuite de repère dans la collaboration quotidienne, plutôt que d’être un document qu’on oublie jusqu’à la première difficulté.

Ce changement de regard marque une évolution profonde : on passe d’un contrat défensif à un contrat collaboratif. Et si, demain, on commençait à écrire nos contrats comme on construit nos relations ?


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